Minaret Noor-E-Islam

Présentation

La mosquée Noor-e-Islam (ou Noor-al-Islam) est la principale mosquée de Saint-Denis de La Réunion. Le nom de la mosquée renvoie à la sourate XXIV, verset 35 du Coran :

« Dieu est la lumière des cieux et de la terre

Lumière sur lumière
Dieu guide vers sa lumière qui Il veut
Dieu propose aux hommes des paraboles
Dieu connaît toutes les choses »

Une initiative des commerçants gujaratis

La première idée d’édifier une mosquée à la Réunion remonte à un peu plus d’un siècle, quand six commerçants musulmans se rendent acquéreurs d’un immeuble sis au 111 de la rue du Grand-Chemin à Saint-Denis, à l’emplacement de l’actuelle mosquée Noor-E-Islam, rue du Maréchal-Leclerc.

Ce terrain est « adjugé à Issop Sulliman, Ismaêl Amode Patel, Mamodjee Moussajee, Ismaël Houssein, Cassim Amode et Amode Ismaêl pour le survivant d’entre eux suivant jugement de l’audience des criées du vingt avril 1892. » Ceux-ci représentent les 130 z’arabes originaires du Gujarat installés dans l’île depuis une vingtaine d’années.

 

Les Gujaratis ont longtemps dominé le commerce maritime dans l’océan Indien avant l’expansion des Portugais. Au milieu du XIXème siècle, attirés par la perspective du nouveau marché ouvert depuis l’introduction massive d’engagés africains et surtout indiens, on les retrouve à l’île Maurice, où les ont précédés des négociants parsis. De là, ils ne tardent pas à essaimer vers Madagascar, l’Afrique du Sud et la Réunion, pour s’adonner principalement au commerce des tissus et des grains. Vers 1892, cette population constituée dans notre île de petits colporteurs, commerçants ou représentants de riches firmes de Bombay se stabilise autour d’un noyau fixe. La présence d’une vingtaine de femmes dans les recensements de 1887 et 1892 témoigne de cette volonté d’enracinement dans l’île.

 

Pendant plus de dix ans, l’immeuble de la rue du Grand Chemin sert de lieu de culte. Le 25 novembre 1897, « au nom du Dieu clément et miséricordieux » les musulmans habitant Saint-Denis et la colonie, « fidèles observateurs de la loi du Prophète et respectueux des lois du pays », dans une pétition au gouverneur Beauchamp, sollicitent l’autorisation d’élever une mosquée sur ledit terrain. Les signataires s’engagent à « ménager les susceptibilités des autres confessions ».

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Dans sa réponse en date du 8 janvier 1898 adressée à Sulliman Mamode, négociant à Saint-Denis, le gouverneur écrit qu’il ne voit « aucun inconvénient à l’établissement de cette mosquée » dont il autorise la construction sous réserve que ses initiateurs « se conforment aux lois et règlements en vigueur pour les réunions publiques ».

 

Le choix de cette implantation au cœur de la ville de Saint-Denis, sur l’artère principale qui traverse la cité d’est en ouest, n’est pas fortuit. C’est là en effet que les premiers commerçants z’arabes ont établi leur quartier général. Ils sont également présents dans les rues adjacentes du Barachois et de l’Eglise.

 

La construction de la mosquée a été longue. La petite colonie z’arabe est peu nombreuse. Il ne faudra pas moins de sept années pour voir l’aboutissement du projet. Un système de financement est mis en place à l’image de celui imaginé par les marchands Gujaratis à Port-Louis lors de la construction de la Jumma Mosquée dans l’île sœur. « L’importation de la quasi-totalité de la farine, du riz et de l’huile passant par eux, [les commerçants z‘arabes] ont constitué une caisse pour la construction de la mosquée, en prélevant sur leur bénéfice une somme forfaitaire par unité de marchandise vendue ». Les gérants de commerce présents dans l’île ont bénéficié du soutien financier des sociétés mères qu’ils représentent. Ces firmes ont pour nom Goullam Mohamed Ajam, Goulam Mamode Alloo et Issop Mamode Sulliman Bottawala. Cette dernière, représentée dans l’île par Issop Affejee Cassim « a participé en grande partie aux frais d’acquisition du terrain et de construction ».

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L’architecture de la mosquée

La mosquée de 1905

Le journal La Patrie créole du 30 juillet 1905 rend compte de la fin de construction de la mosquée qui « s’élève, très blanche et décorative, de style mauresque en sa structure carrée, au milieu même de la ville, dans la partie la plus populeuse. Des ouvriers créoles y travaillèrent longtemps, qui suivirent avec minutie les prescriptions architecturales de ceux qui la faisaient édifier ».

 

L’architecte a très judicieusement exploité l’espace de cette parcelle de 720 mètres carrés : une fois franchi le portail encadré par des locaux commerciaux, le visiteur accède à une cour intérieure ou sahn qui conduit à la salle de prière djamat khana située au fond de l’édifice.

 

La façade s’ordonne symétriquement autour du porche d’entrée encadré de colonnes ; celles-ci sont prolongées au premier étage et sur la terrasse par des pilastres. La même symétrie préside à la disposition des quatre portes du rez-de-chaussée et à celle des ouvertures du premier étage.

 

Cette façade fait écran au sahn, cour carrée entourée de galeries soutenues par des colonnes de style toscan qui abrite le bassin aux ablutions (hawz).

façade1905

On accède enfin au djamat khana, l’espace consacré à la prière proprement dite, salle carrée de dix mètres de côté, percée de larges baies vitrées surmontées d’arcs en plein cintre. Au milieu du mur qui fait face au fidèle lorsqu’il pénètre dans la salle de prière, une niche, le mihrab, creusée dans le mur donne la direction de la Kaaba : qibla : c’est le seul détail qui accroche l’œil dans cette salle volontairement dépouillée comme il est d’usage dans les sanctuaires islamiques. Pour déterminer avec précision la direction de la qibla, les fidèles ont eu recours aux services d’un navigateur de passage qi est venu la calculer sur place muni de ses instruments.

 

Le minbar, chaire d’où l’imam prêche le vendredi est placé à droite du mihrab.

 

La mosquée s’ordonne autour d’un axe nord-sud qui relie l’entrée au mihrab. Contrairement à ce qu’affirme La Patrie créole, cet édifice n’a rien de mauresque. Le style choisi par ses concepteurs présente en revanche beaucoup de similitudes avec l’architecture classique très en vogue dans l’île à l’époque : stricte symétrie de la devanture, arc en plein cintre des ouvertures, balustrades, colonnes et pilastres qui encadrent le porche.

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Le souci majeur des pères fondateurs a été la discrétion. Ils ont veillé à respecter scrupuleusement les engagements pris en 1897. L’essentiel est de pouvoir célébrer le culte en toute liberté.

 

L’inauguration officielle a lieu le mercredi 29 novembre 1905, soit le 1er Chawwal 1323 du calendrier islamique. La Patrie créole témoigne :

« C’est avec une curiosité sympathique qu’un grand nombre de famille du chef-lieu ont répondu, avant-hier soir à l’aimable invitation de « l’Islam Bourbonnais » de venir à l’occasion de la clôture du Ramadhan et de la célébration de la fête du Baïram qui la suit, visiter leur magnifique mosquée de la rue du Grand Chemin. (Baïram : nom turc de la fête de l’Eid Ul Fitr)

Mais pénétrons, avec les invités, à l’intérieur du monument. Attention, il va falloir quitter nos chaussures si nous voulons gagner le parvis consacré. Des sandales de paille, de cuir et des espadrilles sont mises à la disposition des personnes qui craignent, pour leurs pieds nus, le contact glacé du stuc ou du marbre.

Nous vivons un conte des Mille et une nuits.

N’est-ce pas l’Orient cette salle d’une nudité sévère et qui respire cependant un air de fête.

La colonie arabe est là, au grand complet ».

Le Prince Saïd Ali des Comores qui est en exil à la Réunion assiste à l’évènement.

1959-1962, Agrandissement de la salle de prière et ouverture de l’accès sur la rue Jules Auber

Un demi-siècle après sa construction, la mosquée s’avère trop petite. Le djamate khana qui ne peut contenir que 150 personnes est devenu exigu en regard du nombre de fidèles. Des travaux d’agrandissement s’imposent. Ils sont entrepris entre 1960 et 1962 selon les plans dus aux architectes Virapin et Ravily. L’objectif principal est de rendre plus spacieuse la salle de prière et la cour intérieure grâce à l’acquisition en 1959 d’une parcelle mitoyenne à la mosquée. La mosquée ne fermera jamais pendant toute la durée des travaux qui commencent en 1960, ce qui explique sans doute les choix de son comité de gestion. Le bâtiment agrandi est livré et inauguré le 3 août 1962. Les travaux ont coûté 24 millions de francs CFA.

 

L’édifice est toujours constitué de deux corps de bâtiments reliés entre eux par une cour intérieure. Si la façade qui donne sur la rue Maréchal Leclerc a subi peu de modifications, la cour intérieure (sahn) et la salle de prière sont complétement transformées. La superficie de la salle de prière est passée de 100 à 400m2 et permet désormais d’accueillir 500 fidèles au lieu de 150. De cette époque date le sous-sol qui se trouve sous la salle de prière et qu’on gagne par un escalier qui part de la galerie et descend vers le jardin, pour permettre d’accéder à la sortie rue Jules Auber. Aussi la niche indiquant la direction de la Mecque (mihrab) se trouve-t-elle déplacée vers l’ouest sur ce nouvel axe et creusée (comme par le passé) dans le mur du fond de la salle de prière, qui fait face à l’entrée.

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On remarquera que l’accès à la mosquée a également bougé vers l’ouest, pour que le fidèle soit toujours en face de la qibla dès le seuil (comme dans l’ancien édifice) lorsqu’il accède par la rue du Maréchal-Leclerc.

 

Pour rendre visible la nouvelle entrée de la mosquée qui ne se trouve plus au milieu de la façade, l’architecte à fait disparaitre les arcs en plein cintre du rez-de-chaussée, ce qui a malheureusement rompu l’équilibre de l’ensemble. Ces arcs ont également disparu à l’intérieur de l’édifice où ils ont été remplacés par des arcs en accolade, agrémentés dans le patio de vitraux bleus, blancs et rouges. C’est la seule note de couleur dans un édifice où le blanc (comme auparavant) domine.

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L’incendie du 12 octobre 1974

Le 12 octobre 1974, un incendie éclate à l’étage du local commercial qui jouxte l’enceinte sacrée. La mosquée proprement dite (djamate khana et sahn) est épargnée mais les bâtiments en bois situés en amont sont complètement ravagés. Des travaux s’imposent en façade. Le projet de jardin sur la rue évoqué un moment est vite écarté au profit d’une galerie commerciale dont les plans sont dessinés par les architectes associés du Groupe 4 (Gustave Rey, Jean Ménagé, Philippe Goetz, Marc van Nuwenborg).

La construction de la galerie commerciale et du minaret 1975-1978

Après plus de trois ans de travaux, les nouveaux bâtiments sont livrés en 1979. La salle de prière reste en l’état. Les commerces en bois attenant à la mosquée ainsi que l’ancienne façade datant de 1905 disparaissent pour faire place à une galerie commerciale longue de trente-huit mètres et profonde de quatre qui accueille six locaux commerciaux. Ceux-ci sont dotés de mezzanines construites en partie en surplomb sur le trottoir. Une grande salle de réunion qui prend en partie appui sur la galerie sud du sahn occupe tout le deuxième niveau auquel on accède par la cour intérieure.

 

Mais les éléments les plus remarquables de cette façade sont le minaret et les claustras. La façade a en effet été dotée d’un minaret qui culmine à 32 mètres et dont l’assise repose sur le toit en terrasse juste au-dessus de l’entrée.

minaret

L’accès est matérialisée sur la façade par l’inscription « Mosquée Noor-E-Islam ». Minaret et entrée se situent dans l’axe du mihrab comme par le passé. On retrouve dans la galerie commerciale les mêmes arcs en accolade déjà présents dans le sahn et la salle de prière, ceci afin de donner à l’ensemble des bâtiments une certaine harmonie.

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L’éléments le plus remarquable réside dans les écrans de marbre ajouré ou jalis (équivalent mogol du moucharabieh) utilisés en façade au niveau de la mezzanine et comme garde-corps sur la terrasse. Ces claustras aux formes géométriques caractéristiques de l’art islamique alternent avec le marbre blanc qui a été largement employé pour revêtir la façade.

Le patrimoine de la mosquée aujourd’hui

Statut juridique et gestion

 

Les biens cédés à la mosquée le sont à perpétuité et deviennent de ce fait inaliénable : c’est la définition même des biens dits waqf légués par les fidèles au bénéfice des institutions religieuses ou charitables. Ils s’apparentent aux biens de mainmorte cédés par les fidèles à l’Eglise catholique.

 

A Saint-Denis de la Réunion, leur gestion est assurée par une association de type loi 1901 dont la création remonte à novembre 1915. Celle-ci devient en 1989 l’Association Islam Sounnate Djamatte qui confie en 1999 la gestion de son patrimoine immobilier à la SCI Noor-E-Islam.

 

Lors de la création du Conseil Français du Culte Musulman en mai 2003, la mosquée Noor-E-Islam ou Grande Mosquée de Saint-Denis de la Réunion a été reconnue comme « la plus ancienne mosquée de France », avant celle de Paris dont la construction date de 1926. A ce titre, elle fait partie des membres fondateurs du CFCM appelé à réfléchir à l’avenir de ‘l’islam de/en France ».

marbre

Lexique

  • Djamate khana: mot ourdou qui signifie littéralement « lieu (de la prière) en congrégation », enceinte sacrée de la mosquée ou s’accomplit la prière.
  • Imam désigne la personne qui conduit la prière en congrégation.
  • Hawz: fontaine aux ablutions, où les fidèles accomplissent le wozou, rite de purification qui précède les prières.
  • Masdjid: mot employé par les musulmans pour désigner la mosquée. Dérivé de l’arabe de sadjada qui signifie lieu où l’on se prosterne, il est ensuite passé dans la langue française par l’intermédiaire du mot espagnol mezquita qui a donné le mot mosquée.
  • Mihrab niche vide, qui donne la direction de La Mecque (qibla).
  • Minaret dérivé du mot arabe manara ou manar qui signifie phare, d’ùu le muezzin proclamait l’azaan, (l’appel à la prière) cinq fois par jour.
  • Minbar (qui se prononce souvent mimbar) pupitre srélevé pourvu d’un escalier de quelques marches situé immédiatement à droite du mihrab, d’où l’imam délivre le khutba, prêche du vendredi, pour pouvoir être vu et entendu de tous les fidèles.
  • Namaz mot ourdou qui désigne la prière (salat ou salah en arabe) ; il est recommandé d’accomplir les cinq prières quotidiennes obligatoires en congrégation (djamat).
  • Noor: signifie lumière en arabe.
  • Qibla : direction de la Mecque.
  • Wozou: ablutions rituelles avant les prières.